Miren Artetxe Sarasola (1985, Hendaye, Labourd) est philologue et chercheuse en sociolinguistique. Elle est aussi une bertsulari atypique, du moins selon les canons actuels. Elle présente ici sa thèse, qui veut rallier jeunes, bertsu, transmission et identité. Sans oublier de glisser, dans l’entrevue, certains sujets touchant le bertsularisme : la modeste place des femmes, et l’ombre immense du championnat.
Qu’est-ce qui vous a amené vers le monde des bertsu ?
La raison est plutôt masculine : mon père est un amateur de bertsu, tout comme le sien l’était. Mon grand-père a été juge et modérateur lors de sessions de bertsulari, et mon père se souvient comment ils écoutaient les bertsu à la radio. Comme je me souviens avoir regardé avec lui l’émission Hitzetik Hortzera à la télévision, ou comment nous nous lancions des joutes verbales dans la voiture. L’autre grand-père est aussi un grand amateur : il fait des zortziko txiki de quarante syllabes (au lieu de treize), et j’adore cela ! Lorsque l’école de bertsu d’Hendaye s’est créée, il était donc tout naturel que j’y entre.
Quel souvenir avez-vous de cette école ?
Ce sont des surprises au niveau de la technique. Puis, à dire vrai, c’est principalement une ambiance entre amis, et les rires qui sont restés en mémoire. Amets, Sustrai, Xumai, Eneritz... ce sont surtout eux dans mes souvenirs.
Comment voyiez-vous Amets Arzallus et Sustrai Colina, à l’époque ?
Plutôt proches. A l’ikastola, il y avait la différence d’âge, des amis différents, mais le lundi, à l’école de bertsu, nous restions ensemble. Il y avait cette complicité à ce moment précis puis, le reste du temps, nous faisions comme si de rien n’était. C’étaient aussi des garçons... Nous ne jouions pas ensemble à la pelote, lors des récréations. Le fait d’être toujours la seule fille à l’école de bertsu, cela m’a marqué, oui.
C’est un mauvais souvenir ?
Pas du tout. J’étais tout de même consciente qu’il fallait me placer dans des sujets bien à eux, mais je vivais cela comme un privilège. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte que ce n’était pas forcément le cas ! Mais que ce soit par la suite, à l’école de bertsu d’Oiartzun ou de Gasteiz, j’étais l’unique fille. Elles laissaient toutes tomber, sauf moi.
Mais vous vous êtes tout de même éloignée du monde médiatique du bertsularisme, à un moment donné...
A seize, dix-sept ans, j’ai remporté les prix Xenpelar et Lizardi, ce qui a eu un écho plus grand que je ne le voulais : après Amets et Sustrai, j’étais la nouvelle bertsulari du Pays Basque nord ; j’étais jeune, et, surtout, une fille... Il ne me manquait plus que d’être Noire pour être parfaite à l’affiche ! Je sentis en moi monter une pression : je commençais à connaître du monde dans le cercle culturel, j’y plaçais d’ailleurs mon estime de moi-même, et j’ai eu peur. Je voyais là un piège : être bertsulari, et point final. Je ne voulais pas de cela. J’avais un problème à ce niveau, et je suis partie à Barcelone.
Afin de ne pas vous enfermer dans l’étiquette de bertsulari ?
Ce n’était pas seulement pour cela, mais je me souviens qu’au départ, je ne devais y aller que pour quatre mois, et la réaction des gens a été : “Quoi, tu vas laisser tomber les bertsu durant tout ce temps ?”. Finalement, j’y suis restée trois ans, sans que le bertsularisme ne me manque. Peut-être que quelqu’un d’autre aurait bien su gérer tout cela, mais pas moi : je devais y mettre une distance.
Vous avez aussi un esprit nomade, à ce qu’il paraît...
Oui, et je ne sais pas pourquoi. J’ai longtemps pris cela comme une tare, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et je bouge toujours autant, oui.
Même si, en ce moment, vous êtes de retour dans le monde du bertsularisme...
Je suis restée dix ans loin d’Iparralde, et je voulais y revenir. Cela me manquait, et je me sentais aussi redevable. Je suis en train de me refaufiler petit-à-petit dans la réalité locale, ainsi que dans le bertsularisme. J’ai toujours été dans les camps d’été de bertsu, ce qui m’a permis de garder un lien fort avec tout cela. Je vois des jeunes d’Iparralde très motivés, et j’y retrouve également un parallélisme avec mon propre vécu : je veux être là, à leurs côtés.
Vous avez également entamé une recherche, qui sera votre thèse...
Oui, sur l’influence de la transmission du bertsularisme au niveau de l’utilisation de la langue basque des jeunes ; j’y glisse aussi la notion d’identité. Cela a une part autobiographique : j’ai eu, grâce au bertsularisme, une ambiance qui m’a permis de vivre en euskara, et de vivre aussi le monde basque au plus près, ici même, en Iparralde. En tant qu’euskaldun, le bertsularisme a été une grande formation : cela a eu une grande influence dans ma vie ; sans cela, je n’aurais pas été la même. J’avais cette idée en tête : dans des endroits très francophones comme le Pays Basque nord, on ne peut pas vivre en tant qu’euskaldun sans faire un choix conscient, ou s’il n’existe pas une plateforme qui va nous y aider. J’ai vu le monde des bertsu comme une superbe plateforme. C’est ce que je veux démontrer : comment le fait de rester dans le monde des bertsu permet de vivre et de se développer en tant qu’euskaldun. Je vois des jeunes qui ont fait le choix de vivre en euskara, mais je veux savoir ce qu’il se passe là.
Qu’avez-vous remarqué, les premiers mois ?
Des choses somme toute évidentes : que l’école de bertsu est un lieu qui offre un loisir en langue basque. Elle offre donc un pont entre un lieu formel comme l’ikastola et des moments informels entre amis. On y travaille et enrichit aussi la langue, mais je ne pense pas que cela soit le plus important : il s’agirait plutôt de voir l’influence des relations informelles entre amis sur l’appropriation de la langue. Les jeunes ne s’identifient pas forcément à l’école de bertsu à cause du bertsu, mais grâce aux moments et relations qu’ils y vivent. Ils y trouvent d’autres réflexions, d’autres vécus, et cela doit avoir une influence dans l’utilisation de l’euskara en dehors de l’école de bertsu.
C’est votre hypothèse principale ?
Oui. Il faut aussi que je voie quels sont les éléments qui développent l’identité : il y a le bertsu, d’accord ; une basquitude déclarée, d’accord. En plus de cela, il y a le lieu de réflexion : avec les compères de l’école de bertsu, on n’évoque pas les mêmes sujets qu’avec les autres amis. Puis il y a aussi un niveau de confiance et d’affectivité assez élevé.
Au niveau personnel, ou collectif ?
Au niveau des deux : cela commence au sein du collectif. Avec la place conséquente de l’improvisation dans le bertsularisme, on se met à nu. Avec les sujets qui s’y créent, également : on libère sa réflexion, et on se sent accepté ; une ambiance de confiance très forte naît alors. Les va-et-vient entre le niveau personnel et collectif sont incessants.
Nous avons là un point de vue plus horizontal de la transmission...
Oui, ce qui est, à mon avis, fondamental. C’est la chercheuse Paula Kasares qui souligne surtout cette idée-là. La transmission n’est pas forcément verticale, et à sens unique : celui qui sait montre à celui qui ne sait pas. Dans ma recherche, c’est principalement la transmission horizontale qui m’intéresse : à quel point les jeunes se transmettent des choses. Je ne parle pas forcément de savoirs concernant le bertsu, mais, par exemple, de l’attachement. A mon avis, on oublie trop souvent cette relation-là. Nous sommes toujours là à nous demander quelles notions, quelles valeurs nous allons inculquer aux jeunes, sans nous rendre compte qu’ils sont sans cesse en train de le faire, entre eux. Et peut-être que c’est cela qui a le plus d’impact en eux. Cela fut mon cas. Il y a bien entendu la figure de l’enseignant qui, s’il ne crée pas une ambiance collective, et n’aiguille pas cette transmission horizontale, n’arrive pas à faire fonctionner l’école de bertsu. Mais les réflexions, vécus et niveaux de confiance évoqués par les jeunes sont au sein du groupe, entre eux.
Mettez-vous en doute la figure de maître ?
Non, j’ai eu beaucoup de maîtres : transmettre les savoirs est important, pour faire des bertsu. Mais pour y perdurer, le groupe est nécessaire, et c’est à l’enseignant de savoir l’acheminer. Je crois que cela se fait assez intuitivement au sein des écoles de bertsu : en général, les professeurs savent qu’ils doivent entretenir un groupe motivé. Quoi qu’il en soit, le bertsu exige en soi la notion de collectif : c’est une condition sine qua non quant à sa survie.
Mais au fond, quelle est la place du bertsu ?
A mon avis, c’est un prétexte. Attention : c’est peut-être moi qui le vis ainsi. A l’école de bertsu, c’est quelque chose que l’on partage. Il y a une sorte de bertsu-freakisme, mais ce que nous vivons autour de cela n’est pas forcément lié au zortziko txiki. C’est un joli prétexte pour avoir une vie intéressante. Le bertsu implique en soi ce genre de relations : de l’école de bertsu aux rencontres de bertsu, des rencontres aux camps d’été... Il y a un monde bien articulé autour du bertsu, et cela facilite certaines relations.
Nous nous situons là dans la notion de valeur ajoutée de l’euskara, évoquée par Jon Sarasua...
Sans le moindre doute. Nous vivons souvent la langue basque par la responsabilité, la conscience, le militantisme. Lors de l’adolescence, le français ou l’espagnol peuvent tout nous apporter : la pop, le punk, le hard rock, le rap... On peut être un hipster en français. Dans notre vision du monde, la langue basque nous limite souvent. Le bertsularisme nous ouvre une porte, à la fois pour observer le monde, et approfondir tout ce qui est en euskara. Si la langue basque peut nous apporter cela, nous faisons entrer de l’air frais dans notre basquitude. A l’école de bertsu, on peut rattacher beaucoup de choses au bertsularisme.
Que peut-on y greffer ?
Lors des bertsu, les sujets d’actualité y sont amenés, les opinions, les débats... Lors de l’improvisation, on a fait avec les outils à disposition, mais par la suite, on voudra peut-être approfondir le sujet de manière plus personnelle, pour la prochaine fois. Dans les écoles de bertsu, on débat aussi de sujets en groupe, on recherche des arguments. Confronté à soi et aux autres, on se crée une opinion. Les jeunes évoquent en plus des sujets que nous n’abordions pas à l’époque : le ressenti émotionnel devant un micro, le fait de devenir bertsulari publiquement... Cela apporte une richesse au développement identitaire. Ce n’est pas une coïncidence si le féminisme est aussi approfondi au sein des écoles de bertsu, par exemple.
Le féminisme est consciemment travaillé au sein des écoles de bertsu ?
Je ne pense pas que cela entre au sein de la transmission verticale évoquée précédemment. Mais je sais par exemple que c’est un sujet sensible auprès des animateurs des camps d’été, et que, de là, cela se développe au sein des écoles, et ainsi de suite. En Iparralde, il y a beaucoup de filles dans l’école de bertsu du lycée Etxepare, et elles ont beaucoup travaillé ce sujet-là. Dans le bertsularisme, un groupe de bertsulari femmes se rassemble pour y réfléchir, et on commence à ressentir son influence. En résumé, le système fait que l’on peut travailler des sujets qui ne sont pas forcément étroitement lié au bertsularisme.
De quel œil contemplez-vous tout cela ?
Mes sujets principaux sont les jeunes et le bertsularisme, et le point de vue de genres : cela me semble très intéressant. Ce sont des sujets assez périphériques pour l’instant, mais qui peuvent apporter des changements fondamentaux lors des vingt prochaines années.
Le sujet du genre, également ?
C’est ce que j’évoquais précédemment : être la seule fille à l’école de bertsu était un privilège, très bien. A dix-huit ans, lors d’une rencontre entre filles, je me suis rendue compte que toutes ne le vivaient pas ainsi, et que ce n’était plus forcément le cas pour moi aussi. Nous avons fait comme les garçons : nous sommes plutôt bonnes, mais avons nos limites. Notre corps, par exemple : il n’est pas neutre. Je ne vais pas aller en robe rouge dans une session de bertsu à sujet libre : je sais que moi et ma robe, allons y passer, et je n’en ai pas envie. Donc, je contrôle. Puis viennent les sujets, qui sont apparemment neutres : vous êtes plombier, allez chez quelqu’un pour un dépannage, et une femme en peignoir vous ouvre la porte. Là, soit je me mets dans la peau d’un homme, et fais de l’humour comme les gens le veulent ; soit je perds un bertsu pour expliquer que, même si je suis plombier, je suis une femme. En plus, j’ai perdu le moyen usuel de faire de l’humour, et dois donc trouver un autre chemin pour faire rire. Parce que, quelque part, les gens attendent de l’humour... Il y a donc des limites, là aussi. Un autre exemple peut être de chanter en s’inspirant du public. Parmi les spectateurs, il y a un garçon chauve : nous allons volontiers lui chanter un bertsu, au garçon un peu gros aussi ; arrive une grosse femme... Nous allons sauter son tour. Au bout du compte, nous nous rendons compte qu’il y a des difficultés à faire de l’humour en tant que femme, et sur les femmes.
Il y a donc l’occasion de travailler tout cela...
Nous en perdons une grande partie. Dans beaucoup de sujet, nous aimerions plus chanter depuis nous-mêmes, mais le public n’attend pas cela, les autres bertsulari non plus, et moi-même, je ne sais pas forcément m’y prendre. Il y a besoin de se former d’avantage : pas seulement nous, mais le système entier. Puis je tiens à souligner que, plus les filles avancent en âge, plus elles délaissent l’école de bertsu : il suffit de regarder les chiffres. La première perte a lieu lors du passage à l’adolescence, et la deuxième, lorsque vient le moment de chanter en public.
Que se passe-t-il, à ce moment-là ?
Les garçons sont élevés pour faire des choses en public, bien ou mal, peu importe. Si les filles font quelque chose, c’est pour le faire bien : dans les bertsu aussi, bien entendu. D’autre part, lors des sessions, nous sommes souvent seules : le quota est plein, et c’est politiquement correct. Mais nous ne chantons jamais entre filles.
Pourtant, d’un point de vue extérieur, le bertsularisme peut être un sport pouvant proposer une parité...
En théorie, oui. Mais c’est une idée fausse. Comme le bertsularisme n’est pas déconnecté de la société, il en garde son influence. Personne ne demande à Igor Elortza où il a laissé ses enfants avant de venir chanter ; à Uxue Alberdi, toujours. Voyez ce qui est arrivé lors du dernier championnat du Pays Basque : “vous contemplez vos mains” a été l’un des sujets imposés à tous. Jokin Uranga a chanté dans la peau d’un cardiologue, et Ainhoa Agirreazaldegi a pris le rôle d’une sage-femme. Le commentaire général fut de dire qu’une fois encore, Ainhoa avait tiré le sujet vers son propre terrain. Pourtant, combien sommes-nous nés dans les mains d’une sage-femme ? Pourquoi ceci constitue un sujet de femmes, et celui du cardiologue reste-t-il neutre ? Nous avons des tas d’exemples comme cela.
Malgré tout, dans vos recherches, vous avez palpé un sentiment d’élite au sein des écoles de bertsu...
Je ne sais pas si élite est un mot approprié... Mais si l’on doit être sincère, il y a cette idée-là, oui. J’observe que les personnes des écoles de bertsu ont des soucis au niveau de la société, et que, le plus souvent, elles sont impliquées à ce niveau-là. Lorsqu’elles se retrouvent à l’école de bertsu, elles ressentent être avec des gens semblables. Par conséquent, il y a quelque chose qui marque une distance par rapport aux autres ; et, si nous devions hiérarchiser tout cela, les autres ne sont pas plus haut, mais plus bas. Je sais que ce n’est pas politiquement correct, mais ce sentiment d’élite existe.
Mais si l’on ne peut pas évoquer ces sujets-là au sein de la société, c’est plutôt préoccupant...
A notre âge, c’est plus facile : nous avons plus de choix à portée de main. Mais à seize ans... c’est positif d’avoir des moments et des endroits telles que les écoles de bertsu. De là peut découler l’occasion d’amener ces sujets-là vers la vaste société.
Cela aussi donne du prestige au bertsularisme ?
Parmi beaucoup d’autres choses. Comme ces jeunes bertsulari ont des choses à dire, il est normal de les retrouver bloggeurs ou chroniqueurs dans les médias. Mais il faut tout de même remettre les choses à leur place : le bertsulari pense, mais nous ne sommes pas des philosophes. Dans notre panorama, au sein de la culture basque, il y a aussi des philosophes, des comédiens, des écrivains... Et, quelque part, je ne sais pas si l’apparence d’intellectuel de l’élite que prend le bertsulari en ce moment est forcément positif pour le bertsularisme, du moins dans le long terme. Nous magnifions la figure du bertsulari. Or, celui-ci est un membre du peuple, proche : si nous l’en éloignons, il perd aussi une part de soi-même.
Il s’agit-là d’une idée évoquée par Antton Luku : attention à ne pas enfermer l’artiste et la culture dans une tour d’ivoire...
C’est cela. Je ne juge pas les personnes et leurs figures, mais ce que le système du bertsularisme, du championnat et du BEC (Bilbao Exhibition Centre, centre événementiel de Barakaldo, en Biscaye, où a lieu la finale du championnat des bertsulari du Pays Basque, devant treize mille personnes, tous les quatre ans) apporte. Je sais que c’est dur à gérer tout cela, notamment lorsque la société a besoin de ses propres mythes. C’est tout le marché qui réclame le BEC.
Sommes-nous là dans du snobisme ?
Dire cela pourrait être vexant pour des personnes totalement impliquées là-dedans : je ne connais pas beaucoup de snob dans le bertsularisme. Mais vu de l’extérieur, je comprends cette idée. On ne doit pas se trouver au BEC parce qu’on est amateur de bertsu, mais parce qu’on est euskaldun. Nous mythifions la création, l’intellectuel... Cela me gêne quelque part. Le bertsularisme doit aussi laisser une place aux autres secteurs de la culture, qu’ils aient la parole. Au Pays Basque, il y a des gens intéressants qui ne chantent pas au BEC.
Mais il y a eu des championnats de chants : pourquoi n’ont-ils pas atteint de BEC ?
Parce que l’association bertsuzaleen Elkarteak réalise un travail monstrueux dans l’ombre, que ce soit dans l’animation, la recherche, ou la communication. C’est aussi ce travail discret qui apporte le BEC. C’est une conséquence d’une auto-construction. Je ne lui enlève aucun mérite, mais vu de l’extérieur, tout ce travail qui n’est pas apparent n’est pas valorisé, et ce qui est médiatisé est mythifié. Le danger pour le bertsularisme est là.
Parce que le BEC n’est pas durable ?
Le BEC rend les gens amateurs de bertsu. Mais si, une semaine après la grande finale, on organise la même session, avec les mêmes bertsulari, jamais 13 000 personnes ne s’y rendront. Ma préoccupation est donc de faire perdurer l’amour du bertsu aux jeunes des écoles de bertsu, de voir la manière de faire une place au bertsulari, et d’acheminer des amateurs qui ne se rendront pas forcément au BEC, mais bien à l’apéro-bertsu de leur commune. A l’heure actuelle, un marché est établi : si on vous appelle à y chanter, très bien, mais si personne ne vous appelle, que se passe-t-il ? Comment faire pour trouver un public à ces bertsulari, et les maintenir motivés à chanter ?
Il y a donc un risque de formatage ?
Le BEC définit les canons du bertsulari. On ne choisit pas seulement qui est le meilleur, mais quels canons nous souhaitons pour les quatre années suivantes. Le champion est notre représentant.
Nous ne voulons donc pas de gros ?
Il ne s’agit pas de cela ! Mais de cette manière, nous pouvons dire à un jeune de l’école de bertsu, s’il veut devenir bertsulari, ce vers quoi il doit aller. Mais il en est ainsi dans tous les arts.
Et s’il ne veut pas être ainsi ?
On les admire, alors on veut aller vers ce qu’ils sont. Il y a d’autres modèles d’être bertsulari, qui ne sont pas forcément canoniques, avec moins de visibilité, mais que l’on peut développer. Après, je suis d’accord qu’il faut des espaces pour cela. L’image du bertsulari créateur intellectuel du championnat marque un peu le reste.
Pourquoi chantez-vous à Xilaba, championnat des bertsulari du Pays Basque nord ?
Un bertsulari n’a pas pu y participer au dernier moment et, pour maintenir le format des sessions, il manquait quelqu’un : je vais le remplacer, mais sans que mes bertsu ne soient comptabilisés.
Pourtant, il y a pas mal de bertsulari, en Iparralde...
Oui, mais ils sont soit trop jeunes, soit ils ne veulent pas chanter en championnat, comme moi.
Cela vous incommode ?
A une époque, j’avais des ambitions personnelles : je voulais profiter de cette visibilité pour recueillir certaines sessions par la suite. Je n’en suis plus là. Cela ne m’apporte donc rien, si ce n’est le stress d’être jugée. En plus, je ne travaille pas du tout le bertsu, ces derniers temps. Je vais donc y participer, cette fois-ci, dans l’intention d’aider.
Quels canons de bertsulari recherche le Pays Basque nord ?
C’est une chose conditionnée par le championnat du Pays Basque ; et, qui plus est, le champion est d’Iparralde. Mais il est vrai que Xilaba n’est pas si marqué que cela, en ce sens. Cela peut procurer une certaine liberté.
Amets Arzallus, champion du Pays Basque en titre, a décidé de ne pas participer à Xilaba...
Je le comprends. Puis, c’est quelque part dans la tradition : le champion du Pays Basque ne se présente pas dans le championnat de sa région, par la suite. Puis je crois qu’il laisse aussi la voie libre aux autres : que le Pays Basque nord ait un nouveau champion, et nos bertsulari, plus de visibilité.