Maialen Errotabehere (1983, Saint-Martin-d’Arrossa, Basse Navarre) est une chanteuse à voix. Il y a six ans, elle faisait le choix d’entamer une carrière professionnelle. Son troisième disque, Biluzik (Nue), paru aux éditions Agorila, est enrichi d'histoires intimes.
Avez-vous de la voix depuis toujours ?
C’est ce que l’on me dit. Mais chanter est chez nous un mode de vie naturel. Nous organisions en famille de grands repas où nous chantions, jouions de la musique, dansions, et échangions aussi des bertsu ! Puis avec ma sœur nous sommes entrées au sein du chœur Ezpela, avec l'intention de nous intégrer à Espelette, puisque nous venions de Saint-Martin-d’Arrossa. Nous avons beaucoup appris de notre chef de chœur, Denise Olhagarai, qui nous a orienté vers les concours de chant pour enfants. Elle ne le faisait pas dans un esprit de compétition, mais de son point de vue d’enseignante, il lui semblait important que nous y participions. De plus, à cette époque, les concours étaient en vogue, très attachés à la langue basque. Cela nous offrait également l’opportunité de diffuser de nouvelles chansons écrites par Roger Idiart et Mixel Itzaina. Je me souviens avoir formé mon premier duo de championnat avec Katixa Dolhare. J’ai débuté en solo plus tard, vers l'âge de douze ans, et ce n’est qu’à ce moment-là que l’on m’a clairement dit que j’avais de la voix.
Vous avez ensuite travaillé la technique du chant ?
Tout à fait, oui. Denise Olhagarai étant enceinte, elle fut remplacée par Laetitia Casabianca, qui nous apporta beaucoup dans l'enseignement de la technique du chant. Elle faisait partie des responsables du conservatoire, et c’est par son intermédiaire que je m'y suis inscrite.
Qu’apprend-on précisément, au niveau de la technique ?
Chanter avec tout son corps, connaître son anatomie, savoir ce qui se passe au moment de chanter. Ayant ainsi beaucoup d’outils à portée de main, cela ouvre la porte à diverses expériences. C’est à chacun de choisir ce qu’il désire travailler par la suite. On apprend également à chanter en groupe, ce qui est très important. Néanmoins, cela fut parfois difficile au sein d’Ezpela, puisque Laetitia Casabianca, enseignante passionnée et de grande rigueur, était très exigente avec nous. Par contre, je dois avouer que je ne suis restée que six mois au conservatoire, n'y trouvant pas ma place. Il y avait peu de complicité entre élèves, et l’amour du chant me manquait, certains cours étant essentiellement scientifiques. Je me rendis compte que j’avais besoin de l’ambiance populaire d’Ezpela.
En se centrant sur la technique, ne perd-on pas quelque chose en chemin ?
Je crois que le professeur de chant de Johnny Cash, à la fin de son premier cours, lui avait recommandé de ne plus suivre d'enseignement technique. Il risquait de perdre sa faculté naturelle de chanter. C’est effectivement une histoire d’équilibre et de dosage. La technique apporte une base solide et par conséquent une certaine sérénité. Mais ce que l’on doit offrir au public, ce n’est pas de la technique. Ce sont des choses que nous portons en nous, en chacun de nous. Dévoiler ou cacher ses émotions : chacun décide à sa manière comment il charmera le public
Et qu’advient-il de nos spécificités culturelles ?
C’est vrai qu’elles sont là. Nous avons notre singularité, nos codes, et très souvent en savons peu à ce sujet. Je ne suis pas dans le répertoire populaire. Je n’ai pas choisi ce chemin-là, parce que ce sont mes propres histoires que j’ai choisi de raconter. Je suis consciente d’être imprégnée d’une certaine américanité. Nous sommes entrés dans l'ère de la globalisation, qu’on le veuille ou non. Comme le groupe Kalakan et son côté pop. Peu de chanteurs ont préservé notre essence locale. Pour ma part, je dirais que je l’ai complètement perdue.
Cela a été votre choix ?
Je crois que oui. Nous subissons tellement d’influence, de nos jours... Je suis inspirée par le blues, le folk et la pop, parce que j’y trouve une sensibilité. Je suis longtemps restée entre deux mondes, mais à présent, j’ai fait mon choix, oui. En écoutant mon premier disque et l’actuel, ce choix apparaît clairement. Ne serait-ce qu’à l'interprétation : avant, je chantais dans un registre plus soprane, de par mes influences. Désormais, j’évolue dans des tonalités plus graves. Mais ce choix prend du temps, parce que l’on ne veut pas non plus rejeter nos acquis. J’ai trouvé la transmission de notre perpétuation ailleurs : en dirigeant des chœurs d’hommes et d’enfants.
Quelle importance a eu le collectif, dans votre parcours ?
Cela m’a toujours beaucoup apporté. Dans le trio que nous formions avec Mixu et Xabaltx, MMX, j’ai beaucoup appris au niveau de la prise de responsabilité, notamment. J’ai aussi constaté que, réunis, nous étions plus forts. On apprend beaucoup des autres et de soi-même, et pour connaître les attitudes de chacun, le collectif est très utile.
Ressentez-vous le manque de Xabaltx et Mixu, au sein de la chanson basque actuelle ?
Je ne fais rien sans penser à Mixu. Son influence m’est importante, aujourd’hui encore. Sa spontanéité me manque dans la chanson actuelle, ainsi que l’ambiance festive qu’il générait. Et Xabaltx est un créateur. Il a toujours essayé de nouvelles choses, même dans la musique électronique. Il était toujours dans une démarche de recherche. J’espère qu’il reviendra. Sa poésie, ainsi que son talent de mélodiste sont particulièrs.
Entre temps, vous avez continué votre carrière solo : jusqu’à quel point peut-on être professionnel en chantant en euskara ?
Je ne crois pas qu’il y ait de limites. Je ne supporte pas les remarques au sujet de l’euskara ; que les gens ne comprennent rien, par exemple. Moi, je me rends à un concert pour entendre ce que l’artiste a à me proposer, notamment à travers la langue d'interprétation. C’est inséparable : il s’agit de son choix. C’est pour cela que je crois pouvoir chanter dans le monde entier. C’est ce que je veux raconter, et pour cela j’aime être sur scène. Angélique Kidjo parcourt le monde en chantant dans sa langue. Nous n'avons pas à avoir de complexe pour chanter en euskara. Les exemples ne manquent pas : Kalakan, Fermin Muguruza...
L’euskara a donc une place importante dans votre monde ?
Oui. Je viens d’avoir un fils avec un garçon qui habite Angers. J’ai clairement fait comprendre à mon compagnon mon souhait d’élever notre enfant au Pays Basque depuis son plus jeune âge, afin qu’il sache d’où il est, et qu'il vive pleinement en euskara. Même pour être ouvert au monde, cela me semble primordial. Il en va de même pour la chanson.
En revanche, professionnellement, cela doit être difficile de mener son parcours entier en euskara...
Nous jonglons tant bien que mal entre les trois langues, c’est vrai ! Entre euskaldun, nous faisons attention à ce que l’euskara ait sa place. Ce n’est pas facile, mais cela me semble important. Lorsque l’on chante en basque, il est précieux que l’euskara ait une place au sein du processus, pour souligner l’importance des paroles, partager ou défendre ses idées, et que les non-bascophones le ressentent aussi.
Au moment d’écrire les paroles, à quoi avez-vous donné la priorité ?
J’aime les mots, mais je ne me sens pas auteure. Je ne suis pas une grande poète, et je ne maîtrise pas suffisamment la langue pour cela. Ce sont mes petites histoires que je raconte. Elles me sont importantes, parce que je souhaite évoquer certains sujets, ou bien raconter une chose particulière à quelqu’un de précis.
Vous le faites pour partager ?
Le chant est pour moi une thérapie ; une consolation. Au moment de chanter, je me mets parfois à pleurer, et cela me fait du bien. J’extériorise beaucoup et ensuite je me sens mieux. Mais pour cela, je dois partager les choses. Cela dépend de ce que je raconte, mais je peux aussi me sentir messagère.
Dans le monde professionnel, quels sont vos circuits ?
A la base, se trouve mon projet. C’est moi qui le construis, et je vois ensuite comment je peux le mener. Pour ma part, le circuit est devenu totalement différent, particulièrement avec le dernier disque. Je suis passée de l’acoustique à l’électrique, et je ne vais donc pas me produire dans les églises. Je découvre un nouveau monde et je dispose d’un panorama diversifié sous les yeux : salles de spectacle, de théâtre, gaztetxe... Des choses que je n’ai jamais faites ! Par contre, ayant eu un changement de style important, cela a entraîné un doute au niveau de la maison de disque : continuer ou non avec Agorila.
Cela ne doit pas être le même circuit avec la maison Agorila, ou Elkar...
Ce n’est pas du tout la même chose, non. J’avais des doutes pour cet album, désirant aussi diffuser en Pays Basque sud. Avec Elkar, j’aurais pu disposer d’un circuit plus vaste, mais je ne sais pas dans quelles conditions. Agorila finance encore les productions. Ils prennent les artistes dans leur totalité, après avoir cru en leur projet. Le côté promotionnel est à ma charge : c’est plus de travail pour moi, mais la phase de production a été protégée et payée dignement.
Y-a-t-il encore un sens, économiquement parlant, à publier un disque ?
Moi j’aime bien encore avoir un disque entre les mains, feuilleter le livret, lire les paroles... Je préfère ce rituel à internet. Je suis friande de surprises, et j'aime acheter des disques sans savoir ce qu'ils recèlent. Sinon, économiquement parlant, un disque n’a plus de sens, mais cela reste encore une vitrine de son travail.
Est-ce une affaire de marketing que d’avoir un site internet uniquement en français ?
Pas du tout ! Normalement, il donne le choix entre trois langues, mais nous avons un problème technique. On pourra y trouver les traductions des paroles en français et espagnol, parce que j’ai voulu les laisser uniquement en euskara dans le livret du disque.
Vous avez collaboré avec Petti et Eñaut Elorrieta dans ce disque : quelles sont les différences entre vous, au niveau du quotidien d'un chanteur professionnel ?
N'ayant pas le statut d’intermittent, ils subissent une pression plus grande. Ici, nous avons l’occasion de développer et d’apprécier quotidiennement notre travail. Là-bas, ils doivent ponctuellement travailler ailleurs pour gagner de l’argent. Peut-être que cette crainte peut apporter plus de motivation, d’ailleurs.
Mais être sous le joug de la production n’entraîne-t-il pas des conséquences néfastes ?
Pour ceux qui ont l’inspiration, non ! Pour ma part, il m’est impossible de sortir un disque par an, parce que j'ai besoin de temps pour faire des choses. Pour produire le disque Biluzik, j’ai dû parcourir un long chemin. Désormais, tout est plus clair pour moi, et pas seulement sur le plan artistique. Dans ma vie, certaines choses ont pris fin, et d’autres ont commencé : je voulais les évoquer. J’ai tout de même préservé un certain flou, pour que chacun puisse s’approprier mon œuvre. Je ne vois pas forcément l’avenir de manière limpide, mais je dispose de beaucoup de choses afin de le construire. Je prête beaucoup d'attention au chemin parcouru, mais la musique et le chant feront toujours partie intégrante de ma vie.